Suite à mon Interview avec Sébastien Morin (préparateur physique de joueurs NBA) que vous pouvez retrouver ici, j’ai décidé d’interviewer d’autres personnes du milieu (ou qui le connaissent très bien) toujours sur le sujet de la préparation physique dans le basket Français afin d’avoir plusieurs avis sur le sujet … J’ai donc une petite série d’interview bien sympa à venir sur le blog.

J’accueille aujourd’hui Frank Kuhn (préparateur physique de l’équipe Nationale de Hand ball Feminin de Roumanie) que je remercie beaucoup et  avec qui j’ai eu l’occasion d’envoyer 2 ou 3 « vieux saucissons » à 3 pts (à cause du vent biensur…ou pas d’ailleurs!!!)lol il y a 1 an et demi à Carpentier à Paris…

Bref, installez-vous bien dans votre canapé et n’hésitez pas à prendre une bonne tasse de thé avec vous (et à faire 10 burpees entre chaque nouvelle question, oooppsss désolé c’est sorti tout seul)lol car  Frank a beaucoup à dire et à partager, et ça c’est vraiment cool!!! Allez, trève de plaisanterie c’est parti!

Salut Frank. Tout d’abord je te remercie beaucoup d’avoir accepté de répondre à mes questions. Ça me fait plaisir de t’accueillir sur le blog. 

Peux-tu te présenter s’il te plaît ?

Préparateur physique professionnel depuis 2003 j’ai préparé les équipes du Racing Stbg (LFB), SIG (PROA-Coupes d’Europe), Equipe de France Junior de Handibasket (Champ. d’Europe), Equipe Nationale de Roumanie Féminine de Handball (Champ. du Monde), Oltchim Valcea (Champ. League), j’ai aussi été coach au Centre de Formation de la SIG 6 années. 

 

Comment ton parcours t’a-t-il amené à travailler dans le basket puis maintenant dans le handball féminin en Roumanie?

Je rencontre Michel Dufour et Bernard Grosgeorge quand j’étais étudiant en Master STAPS à Strasbourg, je travaille une année dans un cabinet de médecine physique en rééducation réadaptation physique afin de combler mes lacunes ­liées au médical. Ensuite, je contacte Robert Duverne qui me reçoit pour une visite à l’OL, je démarche la SIG et le Racing Strasbourg, les deux structures se montrent intéressées et m’accordent des créneaux. C’est Eric Girard qui me basculera du centre de formation à l’équipe Pro, huit années plus tard, Radu Voina coach de l’équipe nationale féminine de Roumanie et d’Oltchim Valcea (club de Champions League de Handball) cherche à travailler avec un préparateur physique, le contact est prit, je signe.

 

Comment s’est passée ta transition entre le travail de prépa pour le basket français masculin et  le hand roumain féminin? Comment t’y es-tu préparé?

 Donc il faut discuter de trois choses, d’une part le changement de pays et d’environnement, puis d’activité et d’autre part le changement de public.  

Le changement d’environnement a été le problème le plus simple à résoudre car les rythmes de vies des équipes sportives se dupliquent à travers le monde ! Deux entraînements par jour c’est généralement à dix heures et à dix-sept heures, pour un déplacement ne jamais oublier son coussin, un sportif sort toujours d’un bus avec un étonnant casque MP3 sur les oreilles, sera ordinairement fatigué et il y a toujours des fans fous dans le club des supporters.

Le roumain n’est pas une langue facile et il est convenu que je dois apprendre le roumain. D’ailleurs je trouve normal de faire des efforts pour apprendre la langue du pays d’accueil. Encore une fois c’est peu de changement pour moi, j’ai bien du apprendre à parler l’américain pour pouvoir travailler dans un club de basket pro français…

Concernant le handball il existe des similitudes dans la répartition effort (env.40%) pause (env.60%) qui classe le hand tout comme le basket dans une activité qui donne la priorité aux efforts qualitatifs et la capacité à les répéter. Après m’être étonné des qualités explosives de mes basketteurs comme Chuck Edison ou Tremmel Darden….je dois reconnaître des qualités tout aussi impressionnantes, dans les changements de rythme et de direction, des handballeurs. Il y a cependant des différences concernant la dimension verticale qui n’est pas répétée dans le jeu et une amplification des luttes et du paramètre puissance. Comme au basket, il y des différences marquées de profil par poste (et je ne parle pas que du gardien!). Les déplacements défensifs sont latéraux comme au basket mais doivent, plus souvent qu’au basket, être réactifs vers l’avant dans les agressions enchaînées de contacts et vers l’arrière dans les replacements. Les pivots usent d’une importante quantité de pivotés enchaîné de sauts puissants. Les ailliers ont besoin d’une motricité affutée, de qualité d’appuis et d’enchaînement de saut un pied. Les arrières doivent obligatoirement montrer de la puissance de tir. Cette puissance peut naître d’une puissance globale lorsque le joueur est en course, dont l’origine est dans l’impulsion du membre inférieur et se trouve prolongée par le membre supérieur. Elle peut être aussi spécifique du membre supérieur lorsque le joueur réceptionne arrêtée avec un angle ouvert.

Au vu du championnat du monde féminin et des meilleurs joueueses arrière de champions league (Alexandra Barbosa, Andrea Penezic, Alison Pineau, Marija Jovanovic…) cette dernière qualité est souvent, pour enchaîner sur le dernier thème, celle qui marque une difference de niveau sur le poste. Construire dans le temps un corps capable de projeter avec aisance une balle comme un missile à neuf mètres sans compensations me semble un axe capital de la formation.

 Cette saison pour mes filles j’ai mis l’accent sur deux axes en terme de renforcement et de prévention. Je compte neuf joueuses de l’équipe qui ont été opéré au moins une fois des ligaments croisés, le syndrome rotulien fémoro-patellaire est plutôt fréquent, et j’observe généralement un déficit de force du membre inférieur. Le second axe concerne l’épaule, articulation fortement sollicitée (joueuses et gardiennes), Grosgeorge signale de travailler les antagonistes des muscles impliqués dans la frappe violente de tir au but doivent être très entraînés  (abaisseurs de l’épaule et rotateurs internes), Buchheit recommande de faire de la proprioception de l’épaule au début de chaque entraînement et de chaque match (http://www.martin-buchheit.net/Videos/Videos.htm).

Je confesse aussi une évolution, proportionnellement, je proposais chez les garçons plus de musculation aux machines et aux barres, alors que je travaille plus avec les élastiques et les TRX chez les filles.

 

 La préparation physique dans le basket français : Quel regard y portes-tu ? Où en est-elle ? Comment les clubs pro (staff, joueurs, dirigeants) la considère-t-elle?

Saison 2011-2012, 8 clubs sur 16, Hyeres-Toulon, Pau, Dijon, Paris, Roanne, Le Havre, Nancy, sont de mauvais élèves avec à ma connaissance aucun préparateur physique salarié par le club et rien de visible sur leur site. Puis on a Gravelines qui travaille avec Arnaud Ferec mais uniquement en pré-saison. Strasbourg emploie Terrick Nerome avec une action sur le centre de formation mais limitée sur les pros. Le Mans travaille avec Alexandre Bertrand (je ne connais pas son niveau d’implication à l’année), à Chalon c’est Emmanuel Pinda qui sait bien de quoi il parle mais qui est surtout salarié comme assistant coach, idem à l’Asvel avec Fabrice Serrano qui est bien qualifié mais coach aussi les Espoirs. Seuls Orléans (Nordine Attab), Cholet (Germain Bondu) et Nanterre (Vincent Dziagwa) emploient des préparateurs physiques à temps plein.

Officiellement les coachs pros donnent l’impression d’admettre qu’ils n’ont pas de compétence en préparation physique mais très peu de préparateurs physiques intègrent leurs staffs, pourquoi ? Parce que beaucoup de coachs pensent encore que l’on peut se préparer physiquement uniquement avec le jeu (Hyères-Toulon, Dijon, Nancy, Gravelines, Strasbourg, Limoges, j’en oublie) ou avec des modélisations du jeu.

Parce qu’il n’y a pas non plus d’obligation pour les clubs, le statut du préparateur physique n’existe pas. Seul la LNB (Ligue Nationale de Basket-Ball) peut imposer aux clubs de salarier un préparateur physique, mais à la LNB ce sont les présidents de club qui décident.

 

Urgent que ça change car le basket français n’évolue pas. Avec les joueurs NBA venus en France nous avons pris un Kiss Cool, et nos équipes n’ont toujours pas le niveau du Top16, notre championnat n’est pas attractif comme le championnat Espagnol.

 

Mon idée c’est qu’il y a une réelle carence dans la formation des coachs, jamais sensibilisés sur la préparation physique, tout le monde se rassure sur le technico-tactique parce que c’est quelque chose que l’on maîtrise bien en France. Or n’imaginez pas une ligue professionnelle de foot sans préparateurs physiques. A l’étranger la question n’est plus discutée, les clubs de foot brésiliens réputés pour la formation technique des joueurs ont plus de préparateurs physiques que d’entraineurs adjoints (http://www.fluminense.com.br/site/futebol/o-time/comissao-tecnica/). Dans les autres sports collectifs en France il y a des préparateurs physiques (Foot, Rugby, Handball).

 

Le physique est prit à la légère pourtant les meilleurs résultats se font avec les équipes les plus physiques. Cholet a fait un bon parcours en Euroligue + Championnat parce que Kunter place le préparateur physique au centre de son fonctionnement. Le physique permet d’être bon, les « Monschau » recrutent des joueurs à fort potentiels qui sont « physiques », le poste 3 de Jean-Luc Monschau fut successivement Batum, Darden, Greer. Idem à Gravelines, c’est recruté « physique », Christian Monschau fait jouer Bokolo sur ses qualités de vitesse de drive, Issa Dounia, Pape Sy, Albicy sont physiques (le scandale c’est de penser que c’est un acquis marchand et d’en user sans s’en occuper). Quand tu regardes un match NBA des années quatre-vingt-dix et d’aujourd’hui, on peut affirmer que le physique a fait évoluer le jeu.

 

Les coachs devraient se dire, je veux prendre un préparateur physique pour que mes joueurs réussissent à faire tous ce que je leur demande. L’exigence doit partir de là, regardez l’Euroleague les joueurs courent plus vite et sont musculairement plus puissants qu’en PROA mais ils sont tout de même très adroits, au Last 16 Euroligue 2010-2011 tu as 31 joueurs à plus de 60% de réussite à 2pts contre seulement 6 sur la PROA pour le même nombre d’équipes. A l’Euro, l’équipe la plus adroite à 2 points est encore une équipe physiquement dominante, la Turquie. Inversement, un joueur maladroit c’est parfois aussi un joueur qui n’est pas prêt physiquement, un joueur dont les démarquages ne lui ouvrent pas une bonne fenêtre de tir par exemple. Le manque d’adresse peut s’expliquer aussi par le physique. Des équipes qui ont des joueurs dominants physiquement vont marquer plus de points. On ne peut répéter les attaques du cercle en dribble, si physiquement on n’est pas prêt à l’attaquer, le rebond, les prises de positions préférentielles, le carburant de ces éléments là c’est le autant physique que mental.

 

Le paradoxe c’est que les joueurs sont demandeurs, les joueurs américains sont éduqués sur l’engagement physique et pour les entraîneurs universitaires le physique fait parti de la formation du joueur. Quand ils arrivent en France, ils sont surpris par les consignes des coaches, on leur donne des prérogatives technico-tactiques, alors qu’étonnamment les clubs s’attendent à ce qu’ils aient un impact physique, on recrute les américains parce qu’ils sont physiquement prêts et qu’ils vont dominer, mais on ne les entraîne pas pour ça.

La majorité des équipes PROA développent un jeu autour d’un jeu collectif « playstation », comme le dit Jérôme Rosenstiehl, manager délégué de la SIG  à Strasbourg, qui ressemble souvent à de belles chorégraphies, bien éloignées de la recherche d’efficacité.

 

Le premier signal physique visible dans le jeu collectif est la vitesse qui impacte la contre attaque, le jeu de transition et le repli défensif. D’après une analyse de Yacine Aouadi, coach et responsable technique de l’ASS Lagnieu N3, sur le dernier Euro l’Espagne est l’équipe qui joue le plus de possessions en attaque (77), malgré ses intérieurs grands et lourds qui ne ralentissent pas le jeu, la France joue en 70 possessions, l’équipe qui joue le moins de possessions est la Belgique, réputée pour ne pas être athlétique, avec 67.

En France lorsqu’on à eu des choses intéressantes il y a avait toujours une forme d’intensité, il y a eu Roanne et Choulet qui développait son jeu rapide et de transition, son équipe de runners l’année du titre, Salyers, Harper, Spencer n’étaient pas que des joueurs adroits, mais des joueurs qui couraient. Est-ce qu’on a aujourd’hui en PROA des équipes fortes en transition ? On a Gravelines, Nancy, ces équipes sont dans le top 4 français, sur le championnat NBA on a beaucoup d’équipes qui jouent vite, l’équipe nationale (qui est la contradiction du championnat de France PROA) joue vite.

 

Comment fais-tu pour continuer à progresser dans ta pratique ?

 J’utilise mon réseau, j’achète sur le net, je n’hésite pas à essayer chaque jour des nouveaux exercices, ma routine d’abdos se chiffrait à 30 exercices il y a encore deux ans, aujourd’hui j’en ai plus de 80, je prends beaucoup de clichés pour conserver ce qui fonctionne, je n’utilisais pas beaucoup les élastiques au basket par exemple, là en six mois je me suis confectionné une vraie base de données.

 

Quel genre de coach es-tu ? Comment les athlètes avec qui tu travailles te décriraient ?

 Je contrôle les repas (ce que je ne faisait pas en France car je n’ai jamais eu les moyens de le faire), mes joueuses mangent ensemble des repas préparés avec un nutritionniste tous les midi. J’ai fait venir de France deux ostéopathes (ils n’y en a pas en Roumanie) pour travailler avec chaque joueuse afin d’effectuer des contrôles ostéo-articulaires, le suivi est en place. Nous avons deux masseurs à plein temps qui font un travail colossal sur les charnières au quotidien. Sur le terrain je vais voir le coach pour lui dire ce dont j’ai besoin. Je prépare ma séance en amont pour pouvoir porter mon regard sur les réalisations et non sur l’animation de ma séance. Je suis toujours décontracté mais n’hésites pas à faire refaire surtout lorsque j’introduis des exercices qui demandent du placement, ou l’engagement des épaules ou du bassin. En dehors des séances collectives, j’utilise énormément les planches de travail classées par difficultés. J’ai une préparation physique collective avec de l’intensité, de l’endurance, de la vitesse, du core-training (incluant l’aspect dynamique et instable pour stimuler la proprioceptivité), et une préparation individualisée de développement physique, de prévention ou d’harmonisation.

Petit surnom ? De Ricardo Greer j’ai eu droit à « Frank The Tank » ça va, c’était sympa.

 

T’entraînes-tu personnellement ? A quelle fréquence et sous quelle forme ?

 Aille no ! Grande déception en arrivant en Roumanie, pas de club de basket dans la ville, je n’ai jamais arrêté de jouer mais depuis six mois pas de sport-co. Alors je m’entretiens avec deux cardios semaine et un core-training, mais c’est un peu light, d’autant plus qu’après trente ans le métabolisme  change et qu’en Roumanie on mange très bien…

 

Pour finir, portrait chinois.

Si tu étais un sportif de haut niveau (toutes nationalités et disciplines confondues), qui serais-tu ? Pourquoi ?

Joakim Noah ou bien Magic ?! Allez je prends Magic, homme et joueur phénoménal, premier meneur de jeu de l’histoire à plus de deux mètres, j’adorais son audace le samedi après-midi sur canal+ et les commentaires de Georges Eddy « wow c’est caviaaar time là ! » !

 

Si tu étais directeur/fondateur/président d’une multinationale ou d’une société qui tourne très fort, qui serais-tu ? Pourquoi ?

Phil Knight fondateur de Nike. Car il a eu le nez fin avec Jordan, d’ailleurs encore beaucoup se demandent si c’est Nike qui a fait connaître Jordan ou l’inverse…

Bref, comment Nike ne finira jamais de me surprendre, cet été je rentre dans le Nike Store sur les Champs Elysées pour trouver une paire de running. Je m’attends à avoir un vendeur de chaussures avec un répertoire du style “quelle est votre pointure Monsieur ?” et face à moi en fait il y a un coach. Il me parle alors d’appuis en pronation, de poulaine, de Nike+ et il est hyper bon! Je ressors évidemment avec les runnings, le Nike+ et tout le reste puis je me dis c’est fort Nike, ils ne te vendent plus de chaussures ils te vendent de l’entraînement!

Si tu étais un matériel de fitness, lequel serais-tu ? Pourquoi ?

Une paire de cellules de vitesse, on m’emmène partout, je suis précis au 100ème de seconde et pas droit à l’erreur, sanction immédiate!

Aimerais-tu ajouter quelque chose ?

Grosgeorge souligne qu’en équipe de France il y a bien eu quelques tentatives notamment de Jean-Pierre de Vincenzi (avec Gonzales puis Egger) et plus récemment Pierre Vincent  et Vincent Collet (avec Aubert) et que certains clubs de PROA essaient de trouver des solutions. La formation Préparation Physique de la Fédération ne désemplie pas et fête son 10ème anniversaire (160 entraîneurs dont une trentaine exerçant en ligue Pro comme assistants ou intervenants au niveau des centres de formation). Mais  on est loin du compte quant à la reconnaissance d’un vrai métier avec des professionnels de la préparation physique exerçant à temps plein dans cette spécialité. On a perdu 10 ans mais la situation n’est pas irréversible.

 

Entraînes-toi dur et souvent ton corps obéira à ta volonté. FK

 

Merci à toi Frank d’avoir pris le temps de partager ton expérience.

Questions? Commentaires? Avis à donner? La partie commentaire est à vous et Frank se fera un plaisir d’y répondre.

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Mangez sain, entraînez-vous dur, récupérez et recommencez.

Thomas